A Genève, par Estienne Gamonet, 1629.
In-4 de 28-200 pages illustrées de 195 planches gravées sur bois de parterres, compartiments et labyrinthes, rousseurs épaisses. Plein vélin ivoire, anciennes inscriptions calligraphiées sur les plats, un manque de vélin au dos, tranches jaspées. Reliure de l’époque manipulée.
218 x 155 mm.
Edition originale rare et fort précieuse imprimée dès l’année 1629 à Genève et présentant, fait remarquable, le texte sur les jardins et labyrinthes imprimé en quatre langues : française, anglaise (les impressions de langue anglaise de cette époque sont peu courantes), allemande et latine.
« Les historiens de jardins anciens se réfèrent souvent aux gravures du Thresor des Parterres de l’Univers. Il s’agit d’un des premiers livres de modèles destiné aux et, semble-t-il, de la plus grande collection de dessinés dans un style caractéristique de la Renaissance. » « Au début du XVIIè siècle, l’enclave wurtembergeoise de Montbéliard est un carrefour important entre les espaces linguistiques latins et germaniques. Montbéliard est une ville protestante et les prédications sont dites en allemand dans l’église du château et en français dans le temple Saint-Martin. Aussi, la rédaction du Thresor en latin, français, anglais et allemand participe-t-elle au caractère wurtembergeois de cette œuvre. La concurrence entre les cultures française et germanique a sans doute conditionné la classification des « Parterres » choisie par Daniel Loris. En effet, ce dernier distingue les « Parterres François » des « Parterres Allemands »».
« Daniel Loris est médecin lorsqu’il fait paraître son recueil d’ornements. Cette profession est alors intimement liée aux pratiques horticoles, car on cultive de nombreuses simples dans les jardins aristocratiques. Comme l’indique l’épître dédicatoire, l’auteur est au service des ducs de Wurtemberg, comtes de Montbéliard ». Le livre de modèles de jardins de Daniel Loris est l’aboutissement d’un projet où l’auteur, ne s’intéressant pas aux végétaux largement étudiés par ses prédécesseurs, se consacre à l’ornementation des parcelles où ils sont cultivés.
« Au début du XVIIè siècle, l’aménagement d’un jardin princier requiert des compétences liées au savoir botanique et à l’architecture. En 1590, l’architecte wurtembergeois Heinrich Schickhardt (1558-1634) est remarqué par le comte Frédéric qui l’appelle à son service. De 1595 à 1598, le jeune architecte révèle son talent à Montbéliard, en Alsace et en Wurtemberg. Puis il se fixe à Montbéliard de 1598 à 1608 où il exerce en tant qu’urbaniste, architecte, ingénieur civil et militaire, inventeur et créateur de nombreux jardins d’agrément. Il intervient alors dans l’aménagement du « Grand Jardin » pour y édifier une maison de plaisance et un manège construit en 1623 et 1624.
Une vue du « Pomeranzengarten » de Leonberg qu’il dessina nous est parvenue, le jardin est composé de huit « Compartiments » d’un type nommé « Parterres de carreaux rompus » par Charles Estienne et Jean Ribault (1582-83) et « Parterres Allemands » par Daniel Loris. Une comparaison entre les ornements du « Pomeranzengarten » (1609) révèle des ressemblances dans les compositions. Pourtant, aucun motif de la vue du jardin de la duchesse de Wurtemberg n’est directement visible dans le livre de modèles, les « pourtraits » de Daniel Loris étant généralement plus complexes –peut-être le résultat de deux décennies d’expérimentations. Le Thresor comprend également des « Compartiments » ornés d’entrelacs nommés « Parterres François » qui diffèrent sensiblement de leurs ancêtres, de l’Hypnerotomacia Pooliphili (1499). En revanche, ils sont proches des modèles de la Maison Rustique (1582-83) de Charles Estienne et Jean Ribault –bien que d’autres solutions du « Thresor », telles que les « couronnes », semblent inédites. Les « Parterres » du « Thresor » sont donc plus sophistiqués et plus diversifiés que dans les sources antérieures. Il est généralement admis que les expérimentations conduites en 1595 par Claude Mollet et Etienne du Pérac dans les jardins d’Anet donnent de nouveaux « Parterres » progressivement préférés aux autres ornements. Le jardinier et l’architecte utilisent alors l' »arabesque » constituée d’un réseau d’organes végétaux stylisés, qu’ils composent en se servant principalement du tracé des bordures végétales et des contours des planches de culture. De la sorte, l’arabesque est applicable à tous types de parterres, ce qui pourrait expliquer son succès. Par ailleurs, ce motif génère un subtil jeu de mimèsis et une plus grande unité qui favorise la transition entre l’architecture, le jardin et le paysage. Ainsi, à la fin du XVIè siècle, les premiers dispositifs horticoles apparentés aux « Parterres de Broderie » et aux « Parterres de Compartiment », définis en 1709 par Antoine-Joseph Dézallier d’Argenville, ornaient les jardins de Saint-Germain-en-Laye, des Tuileries et du Luxembourg. Olivier de Serres en a reproduit quelques exemplaires dans le « Théâtre d’Agriculture et mesnage des champs » (1600). En revanche, dans les territoires des princes allemands protestants, des sources témoignent d’un attachement à la tradition Renaissance du jardin qui semble se prolonger durant le XVIIè siècle. En effet, des solutions ornementales semblables à celle de Daniel Loris sont visibles dans l' »Architectura civilis, Architectura recreationis » de Joseph Futtenbach (Augsbourg, 1640) et dans l' »Architectura Curiosa Nova » de Georg Andreas Böckler (Nuremberg, 1664). Selon Dorothée Nerhring, les projets de jardins de Joseph Furttenbach l’Ancien « s’adressent expressément à toutes les classes de la société, aussi bien à la noblesse qu’à la bourgeoisie ». (2002, p. 156). Quant aux motifs en entrelacs abstraits du thresor, ils sont appelés « Parterres François », une appellation alors surannée qui n’est cependant pas illégitime. En effet, l’utilisation des entrelacs pour le dessin des parterres est expérimentée et généralisée en France avant l’arabesque, dans la deuxième moitié du XVIè siècle à une époque où les modèles italiens sont déjà moins prédominants. Les premiers modèles venus d’Italie sont différents, il s’agit des « Parterres de carreaux rompus » – une des premières représentations qui nous est parvenue figure dans les « Regole generali di architetura ou Quarto Libro » (1537) de Sebastiano Serlio. Comme l’indique l’intitulé « Parterres Allemands », la forme en « Carreaux rompus » se diffuse à travers l’Europe au cours du XVIè siècle et les jardiniers qui se l’approprient semblent en oublier l’origine. Elle figure également dans « les plus excellents bastiments de France » (1572-1578) de Jacques Androuet du Cerceau.
A la fin du XVIè siècle, le « Parterre de Carreaux rompus » orne les jardins d’Europe et contribue, semble-t-il, à définir un « style international » du jardin de la Renaissance. Mais, le dessin des « Carreaux rompus » de Loris diffère tout de même des modèles de Serlio et d’Androuet du Cerceau. Les deux architectes montrent des motifs qui peuvent être inspirés par le plan centré des églises : les planches qui forment le parterre, assez simple, dessinent des carrés concentriques séparés par un réseau de passe-pieds continu, les autres solutions n’étant guère plus complexes. Daniel Loris témoigne d’un possible perfectionnement du dispositif, car au sein du parterre, certaines planches de culture » (…) » en forme de croix, de roses, de cœur, … deviennent des sous-unités ornementales lisibles et autonomes. De la sorte, les planches contribuent à la composition d’ensemble du parterre en la structurant tout en étant individuellement compréhensibles. Les labyrinthes forment la troisième catégorie de parterres du « Thresor », le tracé le plus utilisé est celui des dédales sans bifurcation : un tracé directement hérité des pavements des églises médiévales. Pour ce motif également, persiste le goût de la Renaissance. Ainsi, au début du XVIIè siècle, malgré le talent de scientifiques et d’artistes tels que Daniel Loris, la principauté de Montbéliard subit un certain enclavement culturel qui provoque le développement d’une Renaissance tardive. Le « Thresor des parterres de l’Univers », qui ne mentionne pas les parterres des premiers jardins baroques, tout en compilant un nombre conséquent de propositions ornementales adaptées aux besoins d’un public germanique, est un remarquable témoignage de cette période ». Laurent Paya – (Ecole Nationale Supérieure d’Architecture) – 2006.
Cette édition originale a de tout temps suscité l’intérêt des institutions publiques et privées internationales, ainsi en localise-t-on sept dans les bibliothèques américaines et plusieurs dans les bibliothèques européennes, mais elle disparaît peu à peu du marché privé ; au cours des trente dernières années je n’ai pu localiser qu’un seul autre exemplaire sur le marché public international revêtu d’une reliure du XXè siècle de Pagnant, initialement défectueux et complété de plusieurs feuillets plus courts de marges, il fut en cet état vendu 14 000 € il y a 11 ans (Couturier/Nicolay, vente du 3 avril 2000).